Pendant des années, Greta était venue si souvent dans ce café qu'elle avait fini par se convaincre qu'elle connaissait cet homme-là. Lui aussi était venu souvent. Toujours installé à la même table, il avait été comme qui dirait, un habitué. Il demandait le journal des sports, puis commandait toujours un café au lait et le buvait, elle l'avait remarqué, de manière un peu bruyante, bien que cela ne l'ait jamais franchement dérangée. Il lui semblait l'avoir vu vieillir, grisonner, même si elle n'en était pas vraiment sûre. Elle avait en revanche bien constaté son regard éperdument triste, mais ne s'en était pas inquiétée outre mesure. Elle n'avait même pas cherché à lui imaginer une vie, à deviner ses qualités. Elle s'était simplement habituée à ces habitudes-là, accrochée à ce personnage, à cette présence qui avait fini par aller de soi. Un jour, il ne s'était pas présenté, et la table était restée inoccupée. Il n'était plus jamais venu, et Greta avait regretté des montagnes de choses, de celles qui auraient au moins pu le laisser partir heureux.
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